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Ils crurent d’abord qu’il s’agissait d’un gigantesque animal marin, vu à travers la lentille d’une caméra immobile, à peine visible alors que sa masse écailleuse, délabrée, s’enfonçait dans le sable, dans l’obscurité. Cependant, lorsque l’image projetée devint plus nette et brillante, on put voir la machine pour ce qu’elle était, gisant légèrement de guingois sur une élévation du rivage. L’océan n’était qu’une étendue miroitante à l’arrière-plan. Une silhouette apparut sur l’image rouge et floue. Elle traversa le champ de vision de droite à gauche et sortit de l’écran ; puis elle réapparut, à une plus grande distance de la caméra fixée à la moto, et examina la carcasse sous toutes les coutures.
« C’est lui ? Ça doit être Kris Dojaan, non ? »
La voix désincarnée surprit Léo Faulcon. Il sentit sursauter Lena, qui, assise à côté de lui, avait les yeux rivés sur la scène de leur découverte dont ils se souvenaient si bien.
« C’est exact, dit Faulcon à voix haute. Il avait oublié de prendre une amulette et Lena… le chef Tanoway… l’avait envoyé en chercher une. Nous étions en colère et bouleversés. Il s’est dépêché de sortir. »
Tandis qu’il parlait, Faulcon jeta des regards autour de lui. Grâce à la lumière provenant de la salle de projection, il put entrevoir les rangées de visages blêmes et impassibles derrière lui. Impossible de dire qui avait parlé.
Ils étaient dans les profondeurs de la Cité d’Acier quelque part sous la grande place, à huit cents mètres au moins au-delà de la barrière d’accès restreint du quatrième niveau, au sein d’un centre administratif que Faulcon connaissait à peine, secteur silencieux, solennel, bien gardé et propre à un point tel que ça en devenait dérangeant. Les gens qu’il avait vus y travailler portaient tous des badges d’identité de manière ostentatoire. Il n’avait pas vu beaucoup d’amulettes.
« Il n’est pas conscient de la caméra ? dit la même voix derrière lui. Vous en êtes sûrs ?
— On en est presque certains, dit Lena d’un air irrité. Il n’avait pas l’habitude des procédures de routine à ce moment.
— De plus, ajouta Faulcon, il est très facile d’oublier ces procédures. Jusqu’à notre retour, j’avais oublié que nous avions été filmés. »
Sur l’écran, la silhouette indistincte du garçon, qui se déplaçait de manière exagérément saccadée, devint encore plus floue lorsqu’il s’approcha de la plage et contourna la machine. Pendant plusieurs secondes, ils contemplèrent une image immobile. L’étrange mouvement confus de la mer, qui ondulait doucement, était difficile à apprécier. Était-ce une photographie ou non ? Soudain, il sembla régner une certaine agitation devant l’œil de la caméra. Le vent avait forci et le sable tourbillonnait en vortex éphémères autour de l’épave. L’œil de la caméra tremblota. Faulcon ne se rappelait pas si les motos étaient tombées durant la nuit, mais il avait la conviction que non.
« Il est entré, là ? demanda une voix de femme. Que voyons-nous à l’écran ? »
Faulcon échangea un regard moqueur avec Lena. Ils estimèrent inutile de faire des commentaires.
Se confondant avec la grande paroi sombre de la machine, Kris finit par réapparaître, accroché à la coque métallique, avançant pas à pas vers le plan de la caméra. Son corps semblait plus maigre, plus fantomatique à travers le brouillard de sable rouge. Pendant un long moment, il resta sans bouger, trop près de l’angle de la caméra, et considéra la carcasse. Puis il sembla tripoter quelque chose entre ses mains, les yeux baissés et jetant des regards appuyés en direction de la tente toute proche. Il leva la main et l’écran s’illumina brièvement lorsqu’il envoya une boule d’énergie contre l’épave. La coque vola en éclats ; un petit nuage de fumée fut rapidement balayé par le vent. Kris s’avança, s’accroupit, puis sonda l’ouverture qu’il venait de pratiquer.
« Regardez, maintenant. Regardez attentivement. Le film s’obscurcit un peu et nous voulons être absolument sûrs que tout le monde est d’accord sur ce qui se produit. »
Cette voix, étrangère à Faulcon, recelait quelque chose d’inquiétant. Elle, ou plutôt la personnalité qui se cachait derrière, semblait avoir observé cette séquence un nombre incalculable de fois.
Sur l’écran, il pouvait voir Kris penché à l’intérieur de la carcasse, mais son corps et la machine étaient difficiles à distinguer dans ce déchaînement de sable et de vent. Faulcon parvenait à discerner la silhouette du garçon lorsque des éclats de lumière ternes et éphémères se reflétaient sur ses lunettes à facettes à chaque fois qu’il jetait un coup d’œil en direction de la tente, et plus nettement lorsqu’il se redressait et regardait la paroi de l’épave. Soudain il disparut.
« Là, dit la même voix. Il est entré. Vous avez vu ça ? Il est entré. »
Faulcon sentit le froid l’envahir. Il avait su d’instinct que Kris lui mentait en affirmant ne pas être entré dans l’épave, mais là, devant ses yeux, il en avait la preuve irréfutable. Cependant, lorsque Lena murmura : « Pourquoi faire tant d’histoires ? Il est entré. Et alors ? » il dut admettre que son inquiétude était irrationnelle.
Plusieurs minutes durant, la salle fut lourde du silence de ses occupants (hormis les bruits de toux, de mouvement, et les murmures agacés de ceux que ces événements n’intéressaient que de loin) ; l’écran affichait une vue de l’océan, un rivage balayé par les vents et une machine extraterrestre qui semblait changer d’apparence proportionnellement avec l’insistance du regard qu’on lui portait. Faulcon commençait à avoir des sueurs. À côté de lui, Lena lui toucha la main, mais il ne comprit pas le sens de ce geste. Finalement, l’image à l’écran fut prise de tressaillements. Quelque chose d’énorme passa devant l’objectif, sortit du plan de la caméra, puis revint dans le champ. C’était Faulcon, qui allait voir ce qui était arrivé à son jeune coéquipier. Il lutta contre le vent, contourna la carcasse, puis réapparut et regarda par le trou creusé dans la paroi de la machine.
« Quelqu’un a-t-il vu quelque chose bouger autour de cette ouverture jusqu’à maintenant ? »
La voix appartenait à une femme. Faulcon se retourna en hâte et aperçut une personne assise seule.
Un murmure s’éleva qui signifiait « non ». Faulcon se vit s’éloigner du trou et regarder autour de lui : la tente, l’océan, le ciel nocturne, puis encore la machine. Subitement, Kris, surgissant du rivage, fut de nouveau là, sombre silhouette, insignifiante, dont les gestes dénotaient un air d’importance. La silhouette marcha tranquillement vers Faulcon, qui soudain l’aperçut, bondit de peur – ce qui provoqua l’hilarité de ceux qui n’avaient pas encore vu le film – puis fit quelque pas à la rencontre du garçon.
Quelques secondes s’écoulèrent, pendant lesquelles ils discutèrent, immobiles, en silence, puis Kris tendit un objet à Faulcon.
Une lueur bleue étincelante noya l’écran, puis s’évanouit brutalement et laissa à Faulcon une image résiduelle, même si le Faulcon de l’écran – plusieurs jours auparavant – n’avait pas eu conscience que l’amulette étoilée de Kris ait émis la moindre lumière. Le film s’arrêta et la salle s’illumina. Faulcon et Lena se retournèrent dans leurs sièges baquets. Ils se retrouvaient maintenant dans la disposition originelle de la salle, sur le côté d’un carré, face à un bureau derrière lequel étaient assis deux hommes et une femme, qui prenaient des notes et murmuraient entre eux. La salle était remplie de docteurs, de psychologues, de géologues, de commandants de section (Ensavlion ne se trouvait pas parmi eux). On distinguait aussi les silhouettes noires de deux commandants galactiques, ces superviseurs de toutes les colonies planétaires. Les deux hommes n’avaient rien dit, et allaient probablement continuer à se taire. Ils étaient là en tant que spectateurs, et leur seule fonction était de rapporter des informations à la Fédération. Cependant, ils travaillaient de concert avec la structure tripartite qui contrôlait le monde de VanderZande, et que représentaient les trois personnages au visage impassible assis devant Faulcon. La femme appartenait aux bureaux du Magistar Colona ; elle était assez jeune d’allure, avec des traits délicats et des cheveux soigneusement tressés. Elle resta un moment plongée dans ses notes avant de dire : « Dojaan vous a-t-il donné l’impression de mentir ?
— Quand il m’a affirmé ne pas être entré dans la machine ? » Faulcon réfléchit et tenta de se rappeler exactement ce qui l’avait rendu mal à l’aise dans le comportement de Kris Dojaan près de l’océan. « Oui, je crois qu’il m’en a donné l’impression. Il hésitait. Il avait l’air coupable. Et il me paraissait absurde qu’il ne soit pas entré dans la machine.
— Et vous ? Vous n’y êtes pas entré ? » demanda l’homme au teint cireux, assis à la droite de la femme du Magistar Colona. Il appartenait au bureau du Secrétariat provincial. Tandis qu’il observait le compte rendu, son visage ne bougea pas d’un cil ; Faulcon avait beau regarder, il ne parvenait pas à le voir cligner des yeux.
« J’avais peur, dit-il. Et je cherchais Kris Dojaan à l’extérieur.
— Dojaan était-il coupable ? Ou désorienté ? »
Cette intervention provenait du troisième homme. Il était plus âgé, avait les cheveux gris et un embonpoint affirmé ; Faulcon l’avait déjà vu, Marat Inhorts, conseiller au Magistar Militar. « Pouvait-il être désorienté ? Embrouillé ? Ne pas savoir ce qu’il lui était arrivé ?
— Oui… oui, je suppose que c’est possible. » Un psychologue anonyme prit la parole.
« Ça correspondrait au schéma de parole et de comportement que Faulcon a mentionné. Il est peut-être délibérément entré dans la machine, et par la suite a été désorienté. Peut-être même a-t-il perdu la mémoire.
— Il ne se montrait pas possessif à l’égard de l’amulette, l’artefact qu’il aurait découvert en entrant, dit Faulcon. Il était prêt à la donner au commandant Ensavlion afin qu’elle puisse être analysée.
— Mais Ensavlion l’a empêché de l’enlever, ajouta Lena. Je crois qu’elle a été analysée in situ. »
Les membres du conseil acquiescèrent en chœur, puis la femme exhiba une feuille de papier qu’elle lut attentivement. Elle effleura un petit bouton sur le bureau, et derrière elle apparut une photographie transray de l’étoile. Celle-ci montrait un enchevêtrement de tubules, de structures circulaires et de formations géométriques – cristallines ? Avec plus de puissance, on pouvait voir que la face interne de l’étoile était littéralement couverte de petites égratignures, un microcircuit peut-être, au dessin rudimentaire et maladroit.
« Comme vous le voyez, dit Inhorts, cet artefact possède une structure interne détaillée, en majorité incompréhensible. Elle est apparemment très inférieure à notre propre technologie. C’est un mécanisme rudimentaire qui produit de l’énergie sur toutes les longueurs d’onde, sûrement contrôlé de l’extérieur par la pression et la chaleur ; ces microcircuits nous sont totalement inconnus, mais très rudimentaires ; les cristaux remplissent une fonction de canalisation et de réverbération et sont inutilement gros. C’est un jouet d’enfant. Une bricole sans intérêt.
— Peu après la rencontre entre votre équipe et l’épave, dit la femme, la machine a disparu. Selon l’opinion générale, elle est retournée dans l’océan et s’est envolée dans le temps, peut-être via un courant sous-marin, une rafale, ou peut-être par ses propres moyens. L’absence de traces de chenilles et l’impossibilité d’observer la moindre perturbation dans l’océan durant les heures suivantes semblent aussi indiquer que la machine a disparu du site sur le rivage. Il n’y a pas eu, non plus, de signe de perturbation sur le rivage. Il nous faut envisager la possibilité d’un contact délibéré, dans un but que nous ignorons. » Elle présenta une photographie qui, d’après Faulcon, semblait reproduire l’amulette de Kris. « Certainement pas pour ce jouet. Toutefois… » Elle haussa les épaules, reposa la photo et tourna brusquement son regard vers Faulcon, le visage sévère. « Une question nous intrigue, c’est la véritable raison de votre présence à cet endroit. C’est une incroyable coïncidence que vous, Faulcon, soyez désormais la seule personne à notre connaissance qui, apparemment, ait été exposée deux fois à cette forme de vie qui nous surveille. »
Dès que ces mots parvinrent à ses oreilles, Faulcon commença à avoir mal à la tête et la salle sembla se refermer sur lui. À côté de lui, la présence de Lena prit une importance exagérée. Il pouvait entendre chaque souffle, chaque battement de cœur, chaque froncement de sourcil, chaque question silencieuse, chaque bouffée de colère et de confusion. Lorsqu’il la regarda du coin de l’œil, elle avait les yeux rivés sur le conseil, mais ses joues étaient rouge vif et sa poitrine se soulevait rapidement, signe de la violence de ses émotions.
Tentant d’ignorer Lena, Faulcon dit, d’une voix mal assurée, mais qu’il espérait maîtriser raisonnablement :
« Je ne comprends pas ce que vous voulez dire… Qu’est-ce que vous insinuez ? »
La femme rit sans humour, comme si elle n’éprouvait que du mépris pour l’attitude défensive de Faulcon.
« Nous n’insinuons rien, rifteur. Nous avons ici un plan satellite de votre itinéraire durant cette mission. Nous avons aussi vos instructions. Pendant plusieurs jours, vous avez exploré les montagnes et une partie du désert, le tout en vous dirigeant vers le rivage nord de l’océan ; vous avez brusquement changé de direction, vers le sud-ouest à travers les terres forestières, un changement de direction très conséquent qui vous a amenés droit sur l’épave extraterrestre, même si à ce moment-là vous ne pouviez pas l’avoir vue ; et même si, comme nous pouvons nous en rendre compte sur les photos satellites, éparses et plutôt sans intérêt, l’épave était encore invisible quelques jours avant votre arrivée sur les lieux… Elle n’était pas là. Elle semble être sortie de la mer pour vous accueillir. Qui a eu l’idée de changer de direction ? »
La salle était plongée dans un silence presque absolu. Tous les yeux étaient fixés sur Faulcon, tous les visages étaient graves, une gravité témoignant de la profonde méfiance et de la curiosité malsaine qui battaient dans la trentaine de poitrines de la salle.
« Je ne sais pas, répondit calmement Faulcon. Nous avons obéi à une impulsion, je suppose. »
Avant que quiconque puisse réagir à ces propos, Lena intervint rapidement :
« En fait, c’était l’idée de Kris Dojaan. Il voulait voir l’océan, et il savait qu’au nord il aurait été gêné par des salants. Nous avons bifurqué alors que nous étions dans les montagnes et nous avons simplement suivi le soleil. Lorsque nous avons fait notre découverte, nous l’avons attribuée à la chance que nous avait portée Kris Dojaan. »
Les membres du conseil débattirent en silence pendant quelques secondes, et durant cette courte pause Faulcon essaya d’attirer l’attention de Lena. Énervée, inquiète, celle-ci continua à regarder droit devant elle ; mais Faulcon était convaincu qu’elle avait remarqué son angoisse. Elle l’ostracisait, et il savait exactement pourquoi.
« Rifteur Faulcon ? »
Il reporta difficilement son attention vers le conseil, vers la femme qui l’appelait avec insistance depuis un moment.
« Désolé. J’étais à cent lieues d’ici.
— Nous avons décidé de vous expliquer quelque chose, à tous les deux, étant donné la nature de votre relation et le niveau d’habilitation du chef Tanoway. Ce monde, cette époque, toute cette installation est surveillée. Nous ne pouvons que deviner la nature de ce qui nous observe. Nous n’avons pas non plus encore les moyens de déterminer pourquoi on nous observe. Il semble, cependant, que ces individus établissent des contacts ; ces contacts peuvent prendre diverses formes, du moins c’est ce que nous présumons. Il se peut notamment que l’amulette soit un exemple de contact, un appel inconscient vers un site et une sorte de processus de transmission… à Kris Dojaan dans le cas présent, même si vous avez probablement tous été sondés en détail. Les témoignages visuels sont une autre forme de contact ; du moins c’est ce que nous pensons. Il existe encore d’autres moyens, mais ce n’est ni le lieu ni le moment d’en parler. Nous savons, bien entendu, que vous avez officiellement nié avoir vu les voyageurs… » − elle s’adressait directement à Faulcon − « ou d’ailleurs leur machine. Votre commandant de section a vu les deux à l’époque, et lorsque d’autres membres de l’équipe, maintenant décédés ou fous, ont aussi déclaré avoir vu quelque chose, vous avez prétendu être inconscient. Le fait que vous ne soyez ni fou ni mort, ou que vous ne vous sentiez même pas concerné, laisse supposer que vous dites la vérité ; votre histoire tient la route. Nous savons, bien entendu, que vous mentez. Le scanner que vous avez passé après l’incident nous a appris tout ce que nous voulions savoir ; vous en avez vu autant qu’Ensavlion… »
De nouveau, Lena inspira brusquement ; elle se demandait sans aucun doute ce qui viendrait ensuite, quels autres mensonges et tromperies on allait mettre au jour. Faulcon ne pouvait que rester assis en silence, terrifié, en sueur. Il ne savait même pas qu’ils l’avaient scanné lors du compte rendu de fin de mission. Il ressentait de la colère, de l’hostilité, à l’idée que son intimité eût été violée.
« … l’obsession d’Ensavlion, dont il se vante publiquement, nous fait honte, mais trouve également son utilité. Il a l’impression qu’il est le seul à avoir vu cette structure et les voyageurs, à avoir fait cette rencontre, alors qu’il s’agit en fait d’un phénomène bien documenté et souvent observé. Quant à savoir si les voyageurs sont réels ou non, nous ne pouvons pas encore en juger…
— Pourquoi ne le scannez-vous pas, comme vous m’avez scanné ? » demanda amèrement Léo, le sang aux joues. Inhorts secoua la tête.
« Vous nous en avez donné la permission sur votre formulaire d’arrivée, au cas où vous seriez témoin d’un contact. Pas Ensavlion. Nous n’abusons ni de notre technologie ni de nos responsabilités, rifteur. Même si je vois que vous ne me croyez pas. »
Il avait raison ! Faulcon avait en effet accepté de passer au vidscan au cas où il serait inconscient ou infirme à la suite d’une mission.
« En outre, dit la femme, nous nous préoccupons moins de savoir ce que vous avez vu que si ce que vous avez vu est vrai. »
D’un ton las, presque mécanique, Lena prit la parole.
« Vous avez vidscanné Kris ? Vous avez sondé son cerveau pour voir ce que lui avait vu ? »
Inhorts hocha pensivement la tête, les yeux rivés sur elle.
« Il nous y a autorisés. Rien d’autre que des images intenses en haute résolution de son frère, et de l’océan… la mer Palubérienne. Impossible de dire s’il est même entré dans l’épave. Les images ne nous ont pas aidés…
— Ce qu’il veut dire, c’est que… », dit la femme du milieu, d’un air presque sardonique, « Kris Dojaan paraissait délibérément nous bloquer l’accès à son esprit. » Que manigancez-vous, monsieur Dojaan ? « Si nous vous révélons tout cela, rifteur Faulcon, chef Tanoway, c’est que vous faites désormais partie d’un plus grand projet. » Tandis qu’il parlait, Inhorts ralentit son débit, prononça les mots avec une précision presque comique, comme s’il avait peur que leur pleine signification ne pénètre pas complètement dans l’esprit des gens simples qu’il avait devant lui. « Vous continuerez à travailler dans la section 8. Bien que votre officier supérieur ait le niveau d’habilitation requis, dorénavant vous recevrez vos ordres de nous ; le commandant Ensavlion ne sera pas mis au courant. »
Conscient que ce serait inutile, Faulcon protesta néanmoins :
« Je ne suis pas entièrement militaire ; je suis indépendant ; partiellement.
— Plus maintenant. La loi nous interdit de vous surveiller, de contrôler votre vie privée… à moins que vous nous y autorisiez ? Non, ça m’aurait étonné… en public, cependant, vous serez épié en permanence. Vous connaissez la routine : si vous avez des objections, elles doivent être remises dans les cinq jours au pouvoir judiciaire central, sur cassette enregistrée, et appuyées par un représentant de la section 8. À ce propos, il vous est formellement interdit de mentionner cette affaire à un représentant de la section 8… » Quel sens de l’humour, songea Faulcon. Il ne put s’empêcher de sourire.
« Ce que vous avez entendu aujourd’hui, ce que vous savez désormais de Kamélios et de la vallée tout cela est classé top secret. Si vous en parlez, si nous vous soupçonnons d’en avoir parlé, vous serez passible de déportation et d’emprisonnement cellulaire. J’espère que c’est clair. Lorsque vous sortirez, prenez des disques d’identification gris. Vous devrez toujours les avoir sur vous, dissimulés. »
Faulcon hocha la tête d’un air abasourdi et regarda les visages inébranlables des membres du conseil.
« C’est la première fois que vous paraissez devant le conseil, dit la femme. C’est aussi la dernière. Mais nous ne serons jamais très loin. »
Faulcon se leva et suivit Lena jusqu’à la porte. « Cette pensée me réconforte », dit-il alors qu’il pénétrait dans la fraîcheur du couloir.